Un grand sage a un jour dit que rien ne bon n'arrivait après deux heures du matin. Si seulement elle avait cru aux dictons, Cristina aurait eu de quoi s'inquiéter étant donné le nombre de nuits qu'elle passait éveillée à arpenter les longs couloirs aseptisés du Seattle Grace Hospital. La jeune résidente traversa la passerelle d'un pas pressant. A travers la grande verrière, les contours des bâtiments s'estompaient dans l'obscurité d'un ciel sans lune mais elle n'y prêtait garde, concentrée sur ses obligations.

La nuit pose un masque inédit sur le visage de l'hôpital. L'atmosphère surchargée et bruyante se fait soudain feutrée et intimiste, les espaces et couloirs bondés s'étalent à perdre de vue, dévoilant l'intégralité de leur immensité à la lumière criarde d'un éclairage blafard, l'effervescence et la course à la performance laissent place à une excitation toute particulière, celle de l'inconnu, du risque, de la responsabilité. La nuit, l'hôpital appartient aux résidents. La nuit, les résidents appartiennent à l'hôpital.

Le silence n'était troublé que par les pas de la jeune femme sur le sol lisse. Cristina passa ses mains dans ses cheveux bouclés et les attacha rapidement en un chignon négligé. La fatigue accumulée coulait sur elle sans l'atteindre. Elle avait dépassé le stade de l'épuisement et se sentait emparée d'une étrange et dérangeante légèreté. Son corps, trompé par la dose impressionnante de caféine qu'elle avait absorbée, évoluait de façon quasi robotique au milieu de cet univers familier dans lequel elle se sentait désormais chez elle. Elle jeta un regard sur sa montre. 02h15.

Cette nuit avait jusque là été d'un calme terrible. Cristina n'était toutefois pas parvenue à trouver le sommeil et s'était attelée à toutes sortes de tâches afin d'occuper son esprit. Son bip avait soudain sonné alors qu'elle épluchait un article sur PubMed, la sommant de se rendre aux urgences sous les plus brefs délais. C'est donc grisée par une certaine décharge d'adrénaline qu'elle débarqua à la mine, prête à en découdre. Alors qu'elle s'imaginait déjà finir sa garde un bistouri à la main, elle fut accueillie par une infirmière qui la pria avec aplomb de renouveler sa prescription de pilule contraceptive. «Sérieusement??». Cristina ravala l'insulte qui s'apprêtait à franchir le seuil de ses lèvres. Elle préféra lever les bras au ciel et tourner les talons.

Alors qu'elle s'apprêtait à quitter les urgences, elle s'arrêta brusquement devant un patient qu'elle avait examiné une heure plus tôt, qu'elle avait envoyé en urgence en écho et qui était toujours en train de poireauter comme un pot-au-feu sur une plaque électrique. Cristina interpella le premier soignant venu. «Hey, pourquoi est-ce que la suspection de péricardite est encore là?». Son interlocuteur prétexta un excès de travail et la pria de se débrouiller elle-même, se lançant dans un long discours que la jeune femme préféra abréger d'un ton sec. «Est-ce que j'ai une tête de brancardière? C'est pas croyable...». Cristina poussa un soupir. Elle jeta un œil sur le patient qui présentait à présent une turgescence jugulaire et se décida à prendre les choses en main. Elle relâcha donc le cran de sécurité du brancard et poussa ce dernier jusqu'à l'ascenseur le plus proche puis pénétra à l'intérieur, passablement irritée.

Cette saleté de brancard n'était même pas fichu de rouler correctement. Les roues ne cessaient de changer de positionnement ce qui avait le don d'exaspérer la jeune résidente. Quelle galère. Le patient, lui, semblait trouver terriblement désopilant de la fixer d'un air mi amusé mi circonspect alors qu'elle tentait tant bien que mal de faire rentrer l'intégralité de cet énorme machin à l'intérieur de l'ascenseur. Une fois l'exploit accompli, les portes se refermèrent et l'appareil commença sa montée vers les étages. Après quelques secondes, l'ascension s'interrompit.
« Et puis quoi encore! »

« Salut Cristina! » Yang releva le regard. Kepner se tenait face à elle, à l'entrée de la cabine. Elle ne semblait pas dans son état normal, si tant est qu'elle ait un état normal. On aurait dit qu'elle venait de chialer. Cristina n'était pas du genre à s'appesantir sur les états d'âme de ses collègues. D'une, c'était le cadet de ses soucis à l'heure actuelle et de deux, elle n'avait aucune idée de comment gérer ce type de situations. Elle savait très bien qu'elle était une espèce d'handicapé sociale à qui il manquait certains codes niveau relations humaines. Ainsi, elle ne se sentait à l'aise qu'en compagnie d'autres handicapés sociaux. Son cas s'était légèrement arrangé sous l'influence d'Owen mais Cristina restait Cristina et devant April qui tentait tant bien que mal de cacher son petit moment de faiblesse, elle préférait faire comme si de rien n'était. Elle haussa donc discrètement les sourcils puis bougea le brancard afin de permettre à sa consœur d'entrer dans l'ascenseur dont les portes ne tardèrent pas à se fermer. «Hey.»

La tension était palpable au sein de l'habitacle. Entre le patient qui flippait et Kepner qui tentait de se contrôler, Cristina ne savait plus où se mettre et avait hâte de respirer l'air climatisé du couloir du deuxième étage. Elle se contentait d'afficher sur son visage un léger rictus. Soudain, une secousse se fit sentir et les lumières blafardes grésillèrent. Nul besoin d'avoir un doctorat de physique pour comprendre que l'ascenseur venait de se bloquer. La jeune résidente souffla, exaspérée, tandis qu'April tentait désespérément d'appuyer sur le bouton d'urgence du tableau. «T'embête pas, je suis sûre qu'il n'y a plus personne au bout du fil depuis l'administration Clinton... au moins.»

La résidente sortit son portable de la poche de sa blouse puis composa le 911. Pas de réseau. Elle soupira, rangea son téléphone puis tourna le regard vers le patient qui commençait légèrement à paniquer. «Ne me dites pas que vous êtes claustrophobe!» Cristina grimaça en voyant son interlocuteur hocher la tête. La psychologie, ce n'était pas son truc. Elle jeta un regard vers April. Quelle soirée de merde...


(désolé pour le délai! )